résidence de création au Théâtre du Briançonnais - 1/11/2014

Margot transporte, du haut de ses dix ans, des brouettes entières de mouchoirs brodés par sa mère infirme et muette ; elle les cache au fond d’un arbre creux pour éloigner le chagrin….
De leur côté, une louve et son petit, en quête de nourriture, ont dressé soigneusement la table dans l’attente d’une nouvelle proie qui ne vient pas……
Quant à Tom, il cherche partout son petit Eliot qui s’est aventuré seul dans la forêt malgré toutes les recommandations…..
Trois histoires qui se croisent inéluctablement……

Première rencontre avec l’autrice

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Lucile Jourdan : Je commence par le titre « Le sable dans les yeux » a-t-il une représentation symbolique pour vous ?

Bénédicte Couka : A l’ origine, la pièce ne portait pas ce titre là mais Le Syndrome sec. Ce syndrome résulte d’une maladie dont Margot fait allusion brièvement dans le texte. Les glandes lacrymales ne fonctionnant pas correctement il en résulte une sensation de picotement semblable à du sable dans les yeux. Dans ma pièce, la maman de Margot a les symptômes de cette maladie mais la cause n’est pas identique. C’est son enfermement qui provoque cette douleur physique et cette incapacité à pleurer. Pour moi, on a du sable dans les yeux quand on a un chagrin qui dure, sans larmes pour pouvoir l’apaiser.

 

Lucile Jourdan : Je pars souvent d’images pour guider mon équipe artistique, cela nous permet d’avoir un univers commun. Vous avez des images en tête ?

Bénédicte Couka : J’imagine les yeux comme un immense réservoir : un lac. Les larmes des yeux représentent la réserve naturelle en eau que contient ce lac. J’y vois aussi des vannes qui s’ouvrent et se ferment pour laisser passer l’eau ou la retenir. Pour le lac, il se remplit au gré des intempéries naturelles et se vide plus ou moins lorsque les vannes sont ouvertes. Pour les yeux, c’est un peu la même chose : il se remplit naturellement parce que notre corps fabrique des larmes grâce aux glandes lacrymales. Les « vannes » des yeux s’ouvrent lorsque chagrin survient. Les yeux comme un lac. Un lac qui se vide plus ou moins quand le chagrin apparaît. Petit chagrin, petites larmes, le lac ne s’assèche pas. Gros chagrin et le lac se déverse à grands flots. Le gros chagrin passé, les vannes se referment et le réservoir se remplit à nouveau. Mais si le chagrin dure et s’étale dans le temps, les vannes restent ouvertes alors le lac s’assèche et il n’y a plus que de la terre au fond. Le lac, la terre. Les larmes des yeux, le sable.
J’aime beaucoup cette image d’un corps sans larmes qui n’en finit pas de s’assécher au plus profond de lui-même. D’abord les yeux, ensuite le reste.

 

Lucile Jourdan : J’ai un mot qui me vient à l’esprit « acceptation »……

Bénédicte Couka : Ne plus avoir de sable dans les yeux, c’est faire le deuil.
Lorsque la maman de Margot commence à ne plus se frotter les yeux, ce qui revient à dire que le sable dans les yeux commence à disparaître, elle fait le choix au plus profond de son être de refermer les vannes de son réservoir intérieur, elle décide de ne plus être dans le chagrin. On la voit alors broder un peu moins de mouchoirs, puis plus du tout. On la voit aussi se remettre à lever la tête, à sourire, et aussi à parler quand elle raconte avec Margot comment son chagrin est apparu. Dans ma pièce, j’ai eu envie de parler de cette difficulté là. J’ai aussi voulu dire qu’on ne peut pas y arriver seul. Margot est là pour l’affirmer.

 

Lucile Jourdan : Je pense au rapport parents-enfants, dans votre histoire La Louve est dans l’incapacité de nourrir son louveteau, Tom a perdu son fils Eliot et la mère de Margot de part son handicap est impuissante face à l’éducation de sa fille.

Bénédicte Couka : Je crois qu’il ne faut pas y voir un échec mais plutôt une impuissance, comme vous l’avez dit, des adultes à  protéger leurs enfants de la mort. Je vois cette fragilité là qu’ont les êtres humains à donner la vie et à ne pas pouvoir maitriser le moment où celle-ci leur sera ôtée pour eux-mêmes ou pour les êtres auxquels ils tiennent. C’est une évidence pour Tom et pour la louve. Pour la mère de Margot, il s’agit d’une autre impuissance, celle de donner le goût de vivre à son enfant.

 

Extrait

Tom : Qu’est-ce que tu fais là, toi ?
Margot : Je vais à l’école.
Tom : Avec une brouette ?… Tu vas à l’école avec une brouette ?
Margot : Je vais à l’école avec ma brouette. C’est comme ça.
Tom : Ce n’est pas le chemin qui mène à l’école. Ta mère ne te l’a pas dit ?
Margot : Elle ne parle pas, ma mère. Elle ne dit rien.
Tom : Eh ben moi je te le dis. Ce n’est pas le chemin qui mène à l’école.
Il ne faut pas passer dans la forêt. … C’est parce que c’est plus court, hein ?
C’est ça ? C’est parce que c’est plus court que tu traverses la forêt ?
Margot : Non, ça m’est égal que ce soit plus court.
Tom : C’est parce que tu as peur d’arriver en retard à l’école et de te faire gronder ?
Margot : Non, ça m’est égal de me faire gronder. De toute façon je me fais gronder tout le temps. Et on me regarde souvent de travers, même quand je ne dis rien.
Tom : Alors pourquoi tu passes dans la forêt ? Tu ne sais donc pas que la louve est revenue depuis une semaine ? Personne ne te l’a dit ? Si ta mère ne cause pas, tu en as quand même entendu parler à l’école, non ? La maîtresse a dû vous le dire, non ? Les maîtresses font de la prévention,
elles aiment les gosses, elles n’ont pas envie que la louve les bouffe !
Margot : La louve ne me mangera pas.

Point de départ

La perte, action de perdre, perdre un être cher, perdre l’utilisation des ses jambes, mais aussi perte à la terre : courant électrique dérivé à la terre par suite d’un isolement imparfait, où bien perte de charge: diminution de la pression d’un fluide circulant dans une tuyauterie.

C’est bien d’un dysfonctionnement dont-il s’agit. C’est ce qui arrive à la mère de Margot, le courant ne passe plus, ses jambes ne répondent plus, la voilà clouée sur une chaise roulante, Margot étant la seule à pouvoir  la sortir de son isolement. La Louve  n’a plus que des airelles à manger, son lait diminue, la pression tombe, le fluide ne circule plus, laissant son louveteau seul.
Tom cherche son fils Eliot, perdre son fils, son enfant mangé par la louve et le louveteau. Tom va vivre dans la vengeance et  jurer la perte des loups.

Pourquoi cela ne fonctionne plus ? Quels sont nos outils pour réparer ? La mécanique de l’âme est elle liée à celle du corps, ou vice-versa ?
Peut-on cesser d’avoir eu pour être ?

 

QUELQUE CHOSE DOIT NAÎTRE

Habitée du texte de Bénédicte Couka, je me pose comme observatrice, je m’imprègne de petits moments de vie, du rire d’un élève, de la sensation de bien-être sous un orage effrayant, d’une main qui cache une douleur inconsolable que les mots ne font qu’accentuer. J’emmagasine tout ce qui metouche, tout ce qui peut me renvoyer à mes doutes, tout ce qui peut faire exploser mes certitudes. Je commence, sans avoir aucune idée de la finalité, je cherche à transposer toutes ces impressions éparses en langage artistique.

Je cherche à travers toutes les expressions possibles, cinéma, musique, peinture, danse. Je collecte, je trie, j’interroge, je prépare la terre, je choisis mes graines, je creuse, je plante… Quelque chose doit naître…

Nous sommes dans une histoire qui travaille sur la mémoire collective des contes, et partant d’images symboliques épurées, nous laissons libre le parcours de l’imaginaire du spectateur. De longues colonnes en tulle noir se dessinent, majestueuses et énigmatiques, et renforce la dangerosité des alentours. Catalyseurs de toutes les peurs, elles font apparaître et disparaître
tous les personnages qui peuplent la forêt. La lumière travaille à moduler le décor et offre la clarté du merveilleux.

Seul l’univers sonore nous donne la matérialité du lieu par le chant d’un oiseau, un vent tempétueux dans les branches, des pas sur des feuilles sèches, l’éclosion de contraintes qui guident le jeu du comédien.

Le thème de la perte me parait fondamental dans la construction de l’individu.

Nous sommes tous un jour ou l’autre confrontés, avec plus ou moins de gravité, à la perte. La perte d’une mère, de sa jambe, du goût de vivre…

Comment mettre en lumière ce passage, ce vide, comment suivre les parcours que cette perte engendre, affronter les peurs qu’elle révèle, ce sont des questionnements très vivaces et poignants chez les enfants.

Le texte de Bénédicte Couka s’apparente à un conte merveilleux dans une écriture d’aujourd’hui, une langue concrète et quotidienne. Nous pouvons donc jouer sur le surnaturel, le corps des personnages est transformé pour permettre la distanciation, en contre-point de l’action menée par le protagoniste.

Cela laisse à l’enfant une grande ouverture des possibles pour s’identifier au personnage et parcourir avec lui le chemin. De la menace à la libération, les obstacles sont multiples. Il ne suffit pas d’être sage et discipliné pour trouver le chemin, mais faire naître en soi la force qui pousse à se dépasser, et non à se résigner.

Lucile Jourdan

  Durée du spectacle : 1h
tout public ( à partir de 7 ans)
dimension du plateau : profondeur 6 m,  ouverture 10m
dispositif scénique : frontal (détails fiche technique)

 

  Prix de cession:
En fonction du nombre de représentations ( la base étant 1 représentation 2500 HT++)
Les ++ sont les transports pour 8 personnes ( tarif syndeac)
les hébergements et repas ( sur place où tarif syndeac):
J -1 : montage 3 régisseurs arrivé à 9h00 au théâtre (où la vieille selon le trajet) .
Le soir arrivée des comédiens + metteure en scène
J : arrivé du chargé de production. Démontage à l’issue de la représentation ( 2h00 chargé)
Hébergement en fonction du trajet.

Ce spectacle est soumis au droits de la SACD

 

  Autour du spectacle:
1h de rencontre avec chaque classe
Rencontre avec l’équipe à l’issue du  spectacle
ces animations sont comprises dans le prix de cession.

Représentations saison 2014-2015 :
– Théâtre du Briançonnais (05) – du 19 au 21 novembre 2014
– Théâtre Nouvelle Génération CDN de Lyon – Festival Régénération (69) – 10 janvier 2015
– Théâtre de la Durance Scène Conventionnée (04) – 20 janvier 2015
– Salle des Arts d’Azur – Le Broc (06) – 23 janvier 2015
– Avignon-Monclar-Festival théâtr’enfants et tout public- du 7au 25 juillet 2015

 

Représentation 2016-2017 

– Théâtre René Char -Digne-les-bains (04)- 12 janvier 2017 à 14h30 et 19h00
-Théâtre le Comoedia à Aubagne (13)- 8 février 2017 à 10h00 et 14h30

 

Représentation 2019

Théâtre Joliette à Marseille (13) les :

jeudi 12 décembre à 14h et 19h
vendredi 13 décembre à 10h et 14h
samedi 14 décembre à 19h

Lucile Jourdan a choisi de mettre à distance ces douleurs en tirant le conte vers un irréalisme du jeu et des costumes…. Les masques sublimes, les transparences du décor, fabriquent de très belles images, effrayantes pourtant, mais rendues supportables. Car ici pas de méchant, pas d’innocent : si les loups mangent c’est pour ne pas mourir. L’incapacité du père à sortir de la colère, et de la mère à s’occuper de sa fille qui cache son chagrin dans un arbre creux, sont autant d’obstacles à franchir, à dépasser, pour pouvoir vivre, et laver le sable accumulé dans les yeux devenus secs. La fable est forte, belle, aussi subtiles que les lumières bleues de l’antre des loups…

AGNES FRESCHEL/  Zibeline

 

Décembre 2014Ce spectacle présente un élément dramatique d’une certaine originalité : pas de méchants loups mais une louve en recherche de proies pour assouvir la faim de son louveteau. Cette humanisation enrichit la fable, ouvre une réflexion sur les rapports entre les animaux et les hommes. Emouvant le mouvement des deux loups dans la transparence nocturne, bien rendu par des lumières feutrées.

ANDREA GENOVESE / Belvédère
Janvier 2015

LE SABLE DANS LES YEUX de Bénédicte Couka

Mise en scène :  Lucile Jourdan

 

Distribution :
Stéphanie Rongeot/Sandrine Spielmann/ Nicolas Fine en alternance avec Stéphane Daublain

Simon Jouannot/Cécile Bouillot en alternance avec Lucile Jourdan

 

L’équipe artistique :
Scénographie et masques  :  Isabelle Fournier/ Lumières  :  Joëlle Dangeard /Costumes  :  Anne Dumont/Régie son : Sadry Djaziri/Création sonore : Isabelle Fuchs
Chargé de production :  Alain Fillit

La compagnie les Passeurs est artiste associé au Théâtre du Briançonnais 2013/2017. Coproduction La Tribu, Pôle Jeune Public, Théâtre Durance et Théâtre du Briançonnais.
Elle bénéficie du soutien de la DRAC PACA, de la Région PACA, du Théâtre Nouvelle Génération, CDN de Lyon, du Conseil Général des Hautes Alpes et de la SPEDIDAM, avec la participation artistique de l’ENSATT.