Point de départ
La perte, action de perdre, perdre un être cher, perdre l’utilisation des ses jambes, mais aussi perte à la terre : courant électrique dérivé à la terre par suite d’un isolement imparfait, où bien perte de charge: diminution de la pression d’un fluide circulant dans une tuyauterie.
C’est bien d’un dysfonctionnement dont-il s’agit. C’est ce qui arrive à la mère de Margot, le courant ne passe plus, ses jambes ne répondent plus, la voilà clouée sur une chaise roulante, Margot étant la seule à pouvoir la sortir de son isolement. La Louve n’a plus que des airelles à manger, son lait diminue, la pression tombe, le fluide ne circule plus, laissant son louveteau seul.
Tom cherche son fils Eliot, perdre son fils, son enfant mangé par la louve et le louveteau. Tom va vivre dans la vengeance et jurer la perte des loups.
Pourquoi cela ne fonctionne plus ? Quels sont nos outils pour réparer ? La mécanique de l’âme est elle liée à celle du corps, ou vice-versa ?
Peut-on cesser d’avoir eu pour être ?
QUELQUE CHOSE DOIT NAÎTRE
Habitée du texte de Bénédicte Couka, je me pose comme observatrice, je m’imprègne de petits moments de vie, du rire d’un élève, de la sensation de bien-être sous un orage effrayant, d’une main qui cache une douleur inconsolable que les mots ne font qu’accentuer. J’emmagasine tout ce qui metouche, tout ce qui peut me renvoyer à mes doutes, tout ce qui peut faire exploser mes certitudes. Je commence, sans avoir aucune idée de la finalité, je cherche à transposer toutes ces impressions éparses en langage artistique.
Je cherche à travers toutes les expressions possibles, cinéma, musique, peinture, danse. Je collecte, je trie, j’interroge, je prépare la terre, je choisis mes graines, je creuse, je plante… Quelque chose doit naître…
Nous sommes dans une histoire qui travaille sur la mémoire collective des contes, et partant d’images symboliques épurées, nous laissons libre le parcours de l’imaginaire du spectateur. De longues colonnes en tulle noir se dessinent, majestueuses et énigmatiques, et renforce la dangerosité des alentours. Catalyseurs de toutes les peurs, elles font apparaître et disparaître
tous les personnages qui peuplent la forêt. La lumière travaille à moduler le décor et offre la clarté du merveilleux.
Seul l’univers sonore nous donne la matérialité du lieu par le chant d’un oiseau, un vent tempétueux dans les branches, des pas sur des feuilles sèches, l’éclosion de contraintes qui guident le jeu du comédien.
Le thème de la perte me parait fondamental dans la construction de l’individu.
Nous sommes tous un jour ou l’autre confrontés, avec plus ou moins de gravité, à la perte. La perte d’une mère, de sa jambe, du goût de vivre…
Comment mettre en lumière ce passage, ce vide, comment suivre les parcours que cette perte engendre, affronter les peurs qu’elle révèle, ce sont des questionnements très vivaces et poignants chez les enfants.
Le texte de Bénédicte Couka s’apparente à un conte merveilleux dans une écriture d’aujourd’hui, une langue concrète et quotidienne. Nous pouvons donc jouer sur le surnaturel, le corps des personnages est transformé pour permettre la distanciation, en contre-point de l’action menée par le protagoniste.
Cela laisse à l’enfant une grande ouverture des possibles pour s’identifier au personnage et parcourir avec lui le chemin. De la menace à la libération, les obstacles sont multiples. Il ne suffit pas d’être sage et discipliné pour trouver le chemin, mais faire naître en soi la force qui pousse à se dépasser, et non à se résigner.
Lucile Jourdan